L’écoféminisme

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Un nouveau prisme au regard de l’urgence climatique

L’écoféminisme est un terme foisonnant dans la sphère aussi bien politique que médiatique. Ce concept a été remis sur le devant de la scène dans le contexte de l’urgence climatique à laquelle nous devons faire face.

L’écoféminisme est à l’origine une expression inventée par une française : Françoise d'Eaubonne, dans son livre intitulé Le féminisme ou la mort datant de 1974. Il s’agit de femmes s’opposant, au départ, au nucléaire et alertant sur les risques liés à celui-ci.
Pour le définir : « L’écoféminisme n’est pas une juxtaposition du féminisme et de l’écologie, mais une rencontre et un dialogue, une dialectique où émancipation des femmes et libération de la nature se questionnent l’une l’autre. » (Jean-Marc Lamarre, L’éco-émancipation : penser l’émancipation en lien avec la responsabilité envers la nature, 2022). L’écoféminisme vient donc s’intéresser aux dominations croisées de la nature et de la femme, mais d’où vient cette pensée écoféministe ?

L’écoféminisme longtemps ignoré en France

Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, des femmes vont lutter contre le nucléaire en essayant de faire prendre conscience du danger humain et écologique, dans le contexte des années 80 et de la menace nucléaire entre l’URSS et les États-Unis. Des manifestations émergent, comme l’occupation de la base militaire de Greenham en Angleterre, qui durera de 1981 à 2000, ou des mobilisations en opposition à des centrales nucléaires comme en 1982 en Californie avec celle de Diablo Canyon.

Pour autant, ce terme qui se développe dans l’opinion publique n’a pas toujours été si connu en France, et a même été longtemps ignoré. Pour exemple, le livre intitulé Femme et la Nature : le rugissement en son sein est une traduction du livre Woman and Nature : The roaring inside her, ouvrage reconnu dans l’avènement de l’écoféminisme paru à l’origine en 1978 et qui n’a été traduit en français qu’en 2021.

Paradoxalement, l’écoféminisme reste une expression, comme évoqué plus tôt, inventée par une française, membre du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). En France, on retrouve quand même à cette époque des écrits écoféministes. Françoise d’Eaubonne publie notamment dans une revue intitulée Sorcières : les femmes vivent, revue féministe écrite en non-mixité, créée en 1975 et qui perdurera jusqu’en 1982. Le numéro 20 intitulé : La nature assassinée, est consacré à une approche écoféministe. Elle rédige un article intitulé : La nature en crise. Elle écrit : « Après s'être approprié la richesse de la terre, le mâle patriarcal s'est approprié la seconde richesse de ce monde, sa propre reproduction, en sur fécondant sa compagne tandis qu'il surexploitait la terre. 

Dans un autre article de ce numéro, intitulé La jouissance d’une pieta, la poétesse, Françoise Clédat fait référence à la création en marbre de Michel-Ange, sur le thème religieux de la « Vierge Marie douloureuse ». Elle écrit : « C'est une première évidence que reprend cette autre volontairement simpliste : si les femmes n'enfantaient pas, il n'y aurait pas à se soucier d'écologie ; il n'y aurait pas à se soucier de cette économie, de cette gestion : la survie de la planète. Si le ventre des femmes ne produisait pas d'enfants, ne reproduisait pas la vie, il n'y aurait pas à se soucier des productions de la terre et de leur possibilité de reproduction. »

La femme rattachée à la nature ?

Le rapport à la nature est l’argument qui, pendant longtemps, a été mis en avant pour légitimer l’infériorité des femmes. Et pourtant, il n’existe pas de nature humaine propre à la femme, il s’agit surtout d’une construction sociale. Simone de Beauvoir dans son livre Le Deuxième Sexe, vient déconstruire ce naturel qui condamne les femmes avec la célèbre phrase « on ne naît pas femme on le devient » (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, 1949).

C’est effectivement le danger de l’essentialisme de croire qu’il existerait une sorte d’essence de femme par nature. Charles Baudelaire dans Mon cœur mis à nu écrit : « La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. »

La femme a été durant des siècles réduite à la procréation, d’où découle une définition fonctionnaliste de la femme. La religion a, là aussi, joué un rôle à travers l’interdiction de la sexualité en dehors de la fonction reproductrice.
Il est important de dépasser le dualisme nature/culture. L’idée de dualité de la femme/nature et homme/culture est ancrée dans nos sociétés occidentales. Les femmes seraient définies par nature par leur corps. Celui-ci, "naturellement" inférieur, Aristote en parlera comme d’un « mâle imparfait ». Comme le rappelle Salima Naït Ahmed, l’utilisation du naturel par le patriarcat sert « surtout à masquer son historicité sous un vernis de naturalité. » (Salima Naït Ahmed, «De la « dénaturalisation » à la « renaturalisation » des femmes , 2019).
L’avènement du capitalisme a renforcé cette exploitation de la nature, mais aussi impacté de façon négative la condition féminine, la femme et la nature qui sont utilisées librement par le capitalisme.

Renouer avec une approche authentique

L'écoféminisme cherche donc à se détacher de cette connexion négative à la nature. Ce courant reste parfois mal vu, expliquant le fait que celui-ci n’a pas émergé en France au même moment qu’aux États-Unis ou en Angleterre, étant jugé par certains comme aliénant la femme à la nature. Les féministes de la « deuxième vague » en France ont cherché dès la fin des années 60 à lutter contre le patriarcat en se détachant de leur rôle qui leur était "naturellement" défini. Ce retour à la nature peut donc être vu comme une forme d’essentialisme pour certaines, allant à l’inverse des droits et libertés obtenues dans ces années comme celui de la pilule ou l’IVG, les pensées conservatrices ayant tout au long de l’histoire précisément utilisé cet argument de la nature pour justifier un système de domination.
Le mouvement écoféministe a bien conscience de cette domination sur le corps de la femme, et cherche à créer une sorte de "reconnexion" entre celui-ci et la nature, une harmonie, et non à remettre cette ancienne nature fictive qui a aliéné la femme durant des siècles.
Il faut pour autant bien garder à l’esprit que l’on retrouve au sein de ce mouvement diverses visions et idées. Mais tous ces divers courants gardent en commun de concilier la problématique écologique et féministe. Il n’en reste pas moins que l’écoféminisme est aujourd’hui mis en avant car il propose une nouvelle, sinon différente, approche du changement climatique auquel nous n’avons plus le choix que de faire face.

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