À nous, que nous reste-t-il ?
Par Isaïe Biotteau
Aux prophètes de bon augure, peu nombreux ces derniers temps, on rétorque souvent que le monde s’effondre, que la crise est là et qu’elle est faite pour durer. Les discours sur l’avenir oscillent donc entre un optimiste technologique qui ne trompe plus grand monde, et un pessimisme glaçant qui semble toujours avoir le dernier mot.
Dépasser l’opposition entre l’individu et le collectif
Concernant la crise qui frappe l’environnement, c’est-à-dire la perturbation massive et définitive d’un grand ensemble de systèmes écologiques et biologiques, il est devenu clair qu’une action non seulement individuelle mais surtout collective est nécessaire. Mais à quoi bon ? Après tout, le système capitaliste et néolibérale semble trop flexible et bien implanté pour espérer un changement collectif et la seule action individuelle ne réglera pas les problèmes d’ampleur planétaire. Alors que faire ? Trier nos déchets en pleurant sur la fatalité injuste d’un système profondément injuste ?
Sans partir dans la caricature, il nous semble néanmoins nécessaire de repenser l’opposition entre l’individu et le collectif à la lumière des enjeux climatiques et environnementaux. En effet, vos actions n’ont pas qu’un effet direct sur leur objet. Chaque action prise pour lutter contre le changement climatique rayonne dans votre cercle amical, familial et social. Elle pousse vos proches à s’interroger sur leur propre comportement, à remettre en question chaque action, se demandant : « Est-ce juste ? » Si la réponse n’est pas souvent positive, des questionnements répétés finissent souvent par modifier, même imperceptiblement, le comportement.
Ce n’est pas naïf que de considérer que nos actions individuelles sont influencées et influencent nos proches. De ce constat, moins manichéen que notre opposition première, il faut en tirer une conclusion. En agissant, nous poussons les autres à changer leur système de représentation, et en dernier lieu, à agir.
L’espoir ou la croyance nécessaire en un monde meilleur
À ce premier dépassement s’ajoute un constat. L’espoir d’un avenir meilleur est en recul, il se redéploie sous d’autres formes ; on espère que le réchauffement n’impactera pas trop les populations, que les migrations forcées ne causeront pas trop de morts, que les espèces s’adapteront. Pourtant, l’espoir franc et optimiste d’un avenir meilleur, celui d’un monde où l’homme dépasse sa propre condition, celui où l’homme arrive à un statut quasi divin, celui où chaque problème trouve sa solution dans l’intellect humain, cet espoir là semble avoir disparu.
La faute est sans doute à trouver au caractère profondément désespérant de l’enjeu actuel, c’est toute l’humanité qui est en jeu. La situation nous demande ainsi de changer drastiquement de point de vue, d’habitudes, de système de pensée ; il n’est plus question d’homme moderne imposant sa technique sur la nature. Il s’agit ici d’un autre homme qui ne réfléchit plus en termes de culture et de nature, mais en termes de relation, d’interdépendance, de liens.
Aux oracles moroses, il nous faut alors répondre. Mais comment ? Comment trouver de l’espoir sans se voiler la face, comment voir autre chose dans notre futur qu’une longue décadence où l’humanité agonise sous les yeux de tous ?
Il ne semble pas y avoir de réponse unique à cette question pourtant capitale. À titre personnel, je pense qu’il y a un nombre infini de manières de retrouver l’espoir. Celle qui retient cependant le plus notre attention, et qui semble pour le moins radicale à première vue, pourrait se résumer ainsi : Seul le sacré, dans une de ses nombreuses formes, peut nous permettre de retrouver la foi en un avenir.
De l’espoir au sacré
À la lecture de ces lignes, le lecteur peut se sentir floué. Ce texte n’était donc qu’un plaidoyer pour le christianisme, le bouddhisme, l’islam, le judaïsme (la liste est encore longue et dépendra de la relation de chaque lecteur avec les religions) ? Je tiens à vous rassurer, je ne me ferais prosélyte d’aucune religion ici, sans leur dénier leurs qualités propres. Ce que nous cherchons à exprimer ici, c’est la nécessité d'un retour au sacré, à la foi et à la croyance.
Certains d’entre vous penseront alors que c’est un pas en arrière, que la progressive émancipation de la culture française vis-à-vis du catholicisme est une bonne chose, une avancée. Je ne me risquerais pas personnellement à de telles affirmations. Je tiens néanmoins à rappeler que penser en termes de “progrès”, de “pas en arrière”, “d’obscurantisme”, c’est encore penser dans les termes d’un homme moderne marchant vers son progrès. Autour de ce vocabulaire gravitent d’autres termes, plus écœurants et pernicieux encore : “croissance verte”, “développement durable”, “économie verte” et bien d’autres.
Je demande donc au lecteur de bien vouloir m’accorder le bénéfice du doute jusqu'à ce qu’il soit convaincu (ou non).
Lorsque nous parlons de sacré, de foi, nous n’entendons que le sentiment qui semble prendre place au fondement de chacune des religions. Ce retour à la croyance voire au mysticisme est visible grâce au développement du New Age. Chamanisme, voyance, magnétisme, sorcellerie, ces ensembles hétéroclites plus ou moins suivis et cohérents s’agrègent autour des considérations New Age.
Mais le New Age ne peut et ne doit pas être pris comme un système organisé. Il est une appellation qui sert à rendre intelligible le phénomène de retour massif à la croyance dans les pays occidentaux. Nous ne pouvons donc nous y référer, d’autant que le phénomène en lui-même est accompagné de dérives sectaires massives continuant aujourd’hui à sévir.
Ce que nous cherchons à caractériser ici, et dont l’étude mériterait un long et approfondi exposé, c’est bien la foi, la croyance en un sacré, qui pourrait porter cet espoir d’un monde meilleur.
Cette construction du sacré, bien que pensée, ne doit pas être artificielle pour être efficace ; la sincérité sera donc son maître mot. Ainsi, considérer les liens qui unissent les différents êtres et entités de notre planète nous pousse à agir. Non pas par égoïsme, souhaitant par là sauver l’humanité en tant qu’espèce, mais par une considération profonde de ce qui nous uni aux autres, humains comme animaux, plantes ou biosphères. Alors aux prophètes de la fin du monde, nous répondrons : il faut agir, et pour agir, il faut avoir foi. Rendons donc évident le caractère sacré de nos liens avec l’Autre.