Nietzsche le sportif
Dans cette rubrique, nous allons réfléchir à partir d’un morceau de texte, pour essayer d’en tirer des idées différentes, et peut-être surprenantes ! Ce fragment de Nietzsche est issu du « Crépuscule des idoles » (éd. GF, 1985) ; on peut s’y référer comme le 34ème aphorisme du chapitre « Maximes et pointes ».
« On ne peut penser et écrire qu’assis* (G. Flaubert). Je te tiens là, nihiliste ! Rester assis, c’est là précisément le péché contre le Saint-Esprit. Seules les pensées qui nous viennent en marchant ont de la valeur »
Du style à la réflexion Nietzschéenne
Tout ce qui est suivi par un astérisque est écrit en français par Nietzsche dans sa version en allemand. Ce faisant, la citation de G. Flaubert met directement de la distance avec le lecteur allemand, et avec Nietzsche par la même occasion. Quand on lit ce texte, c’est finalement compréhensible qu’il prenne de l’écart par rapport à ce que dit Flaubert, car il le critique par la suite. Au premier abord, on pourrait se dire que sa pensée est limpide, mais à l’instar de la philosophie du soupçon (dont Nietzsche est une tête d’affiche), il est nécessaire de lire entre les lignes pour discerner certaines nuances. La première nuance étant l’emploi du mot « nihiliste », qui ici ne représente pas quelqu’un qui « rejette toute croyance » (CF, Petit Robert), mais qui justement s’enferme dans ses croyances, lui faisant oublier le présent. Un nihiliste pour Nietzsche est donc quelqu’un qui se cache derrière une « idole », qui est ici précisément, la croyance dans une réflexion statique. Le fait que le philosophe au marteau critique l’effet statique d’une réflexion prend tout son sens dans sa définition du nihiliste. Une croyance qui est immobile, s’érige de toute sa hauteur tel une statue grecque, surplombant le monde humain de par son système ordonné et immuable. A partir de là, il serait contradictoire d’opposer une nouvelle croyance face à celle de Flaubert ; ce qu’avance Nietzsche est une pensée en mouvement, qui ne peut devenir statue.
Par la suite, Nietzsche utilise un vocabulaire religieux, quand il parle de « péché » et de « Saint-Esprit ». Pourtant, pour lui, la religion est l’apothéose de ce qu’est une idole, elle empêche les religieux d’être sages. La sagesse de Nietzsche ressemble un peu aux sagesses anciennes, dans le sens où elle émane de l’acceptation et de l’amour de l’instant présent. Penser au passé nous enferme dans des faits qui ne changeront jamais, et espérer un futur nous fait attendre une destinée qui reste hors du présent. Donc pourquoi parler de « Saint- Esprit » ? Je pense qu’il veut à la fois lancer une pique, et à la fois faire écho à sa philosophie. Il lancerait une pique en disant « Saint-Esprit » comme s’il était à la place des croyants, qu’il critique lui-même ; de l’ironie somme toute. De plus, ici le Saint-Esprit peut justement faire appel à la sagesse ancienne d’acceptation du présent, que Flaubert ne suivrait donc pas.
Et le sport dans tout ça ?
Il ne reste plus que la dernière phrase, peut-être la plus capitale. Il faut noter que Nietzsche parle d’une pensée qui vient à nous, et non pas que l’on créé nous-même. La meilleure posture à adopter pour accueillir toutes ces pensées serait la marche. Métaphoriquement c’est très clair : qui cueille le plus de pomme entre l’homme qui marche dans un verger et celui qui le contemple de sa fenêtre ? C’est de là que vient mon idée du sportif. Quand nous faisons du sport, nous sommes (normalement) dans un état de concentration assez poussé. Cet état nous permet à la fois d’être performant, mais aussi à l’affût de tout ce qui arrive. Pour ainsi dire, nous sommes vivants dans l’instant présent uniquement.